Interview de Jean-Baptiste Andréa

Vendredi 10 novembre 2023

Notre classe journal a eu la chance d’interroger l’auteur de VEILLER SUR ELLE.

Que vous apporte cette sélection au Goncourt des lycéens ?

J-B A. = “Avant d’être sélectionné, je savais que j’aimais beaucoup les romans, mais pas seulement pour parler de mon livre… Quand j’étais lycéen, je voulais être écrivain depuis que j’étais petit, et tout le monde me disait que c’était pas un vrai métier, que c’était une sorte de hobby, et qu’il fallait que je me trouve un job sérieux, et j’aurais beaucoup aimé rencontrer quelqu’un du milieu artistique, juste pour voir que c’était possible et que ça existait. Enfin, je savais que ça existait, mais je voulais m’en rendre compte. Donc, je me dis que si peut-être, dans l’assemblée, il y a des gens qui ont des désirs un peu hors normes, sans forcément rentrer dans des normes, sans que ce soit un job traditionnel (je n’ai rien contre les jobs traditionnels), il y a des gens qui peuvent avoir des envies un peu différentes et des voies différentes de ce qu’on vous offre habituellement. Je me dis que c’est chouette qu’ils voient que ça existe, c’est la première chose aussi. La deuxième chose qui paraît importante aussi est que par ces rencontres, peut être, les gens qui ne lisent pas ou qui sont un peu effrayés par le livre cessent d’associer la lecture à quelque chose d’ennuyeux, avec des auteurs à barbe blanche et qui fument la pipe (eux aussi ils sont très sympa mais ce n’est pas la question). Voilà, qu’on est tous des gens normaux, des gens qui travaillent, vivants essentiellement… C’est ça qui me plait dans ces romans, au fond pour parler de mon livre, tout ce que j’ai à dire se trouve dans ce livre, donc ce n’est pas le but pour moi.

S.C. = Comment avez-vous appris votre participation à ce Prix ? Dans quelles circonstances ?

J-B A. = J’étais chez moi, j’ai reçu un texto d’un journaliste de RTL, qui m’a dit “T’es dans la liste du Goncourt !” En plus, je ne sais plus trop si je me rappelais à quel moment ça tombait aujourd’hui donc au début je n’y ai pas trop cru, enfin je me suis dit “Oui, chouette, génial” et puis après je me suis souvenu d’amis qui ont eu des avances comme ça, et qui se sont avérées des erreurs, donc je lui ai dit “Oui, mais attends, est-ce que tu es sûr ?” et il m’a ensuite envoyé le communiqué de presse, la photo, donc là j’ai vu que j’étais dessus et j’étais vraiment très content.

P. P. = Pour écrire vos livres, vous travaillez dans quelles conditions ? Est-ce que vous êtes dans une pièce calme ou vous avez besoin d’avoir un paysage devant vous ?

J-B A. = Non, enfin oui, j’ai besoin d’être dans une pièce calme, qui est essentiellement mon bureau, en fait. J’ai besoin d’être posé, j’ai besoin d’être chez moi. J’écris très rarement en dehors de mon bureau, en fait, ce que je peux faire en dehors de mon bureau, quand je marche ou que je suis dans la nature par exemple, je peux réfléchir à une histoire et à sa construction, mais l’écriture même du texte se passe dans mon bureau. J’ai besoin d’une sorte de “lieu sécurisé” d’une certaine façon, qui est mon chez-moi, ma tanière. Je n’ai jamais écrit dans un bar de ma vie, jamais écrit dans un train… non mais il y en a qui arrivent très bien, moi je n’y arriverais pas, j’ai besoin de ce chez-moi oui. Je n’ai pas de rituel, d’habitudes particulières.

S. C . = Est-ce qu’en amont d’un livre, avant de commencer à y réfléchir, est-ce que vous allez “sur le terrain” pour voir comment ça se passe ou est-ce qu’il y a toute une réflexion ?

J-B A. = J’adore raconter et surtout inventer. Je pense que la bonne fiction, c’est celle qui a tout de même une part de vérité. Par exemple, sur mon premier roman, je parle d’un garçon, un enfant qui n’est pas comme les autres, je n’ai pas non plus défini ce qu’il était, car je déteste mettre des personnages dans des cases… et donc j’ai écrit sur ce gamin sans faire la moindre recherche sur sa maladie, savoir s’il était autiste… parce que je m’en foutais. Je cherche juste à décrire un personnage fictif qui n’est pas comme tout le monde, et j’ai reçu, après la parution, la lettre d’un médecin qui écrivait dans une revue médicale, et qui faisait des revues littéraires, enfin une recension littéraire pour une revue médicale, et qui m’envoie une copie de sa critique, et qui disait “C’est un diagnostic extrêmement précis” de telle et telle pathologie dont je n’avais jamais entendu parler, et donc c’est là que j’ai compris quelque chose, que la fiction est la vérité, la bonne fiction est la vérité. Donc, je ne fais pas de recherches au préalable, car le deuxième danger de faire plein de recherches en amont, c’est d’avoir ensuite envie de les imposer aux lecteurs ou aux lectrices. Ce que je fais, c’est que je construis mon histoire, et puis à un moment, si j’ai besoin d’une information, puisque ça arrive, un détail qui manque… puisqu’on ne peut pas tout inventer, je vais le chercher. Pour moi, l’histoire et la fiction ne découlent pas de mes recherches, c’est l’inverse : mes recherches découlent de l’invention, au moment où j’en ai besoin

P. P. = Est-ce que vous avez des sujets que vous aimez particulièrement ? Puisque lorsqu’on écrit un livre, on a généralement une idée du sujet, de quoi on veut parler. Est-ce que vous touchez à tout, ou vous aimez bien vous arrêter sur certains sujets ?

J-B A. = Je n’ai pas de sujet précis, je ne me dis pas “je vais parler de ceci, de cela” mais quand je regarde mes quatre livres, je trouve forcément des sujets communs, même dans les films que j’ai pu réaliser auparavant, puisque moi je viens du cinéma. Ca tourne beaucoup, au sens très large, autour de la création, autour des combats qu’il faut mener pour créer, et autour des joies infinies que va procurer le fait de créer, qui va faire oublier toutes les difficultés, tous les combats, et parfois même la création se nourrira exclusivement de ces combats, de ces difficultés là. Cependant, ce n’est pas quelque chose de conscient de ma part, je n’écris pas pour faire une démonstration de quoi que ce soit, j’écris simplement pour vous emmener dans un autre univers.

P. P. = Au niveau de la famille, par exemple quand vous êtes dans des Concours comme celui-ci, qu’il faut se déplacer, est-ce que ça peut parfois paraître compliqué de gérer la vie privée et la vie publique ?

J-B A. = Absolument, c’est compliqué, enfin, heureusement, mon épouse est aussi artiste, puisqu’elle est peintre, donc elle est dans son monde elle aussi, elle comprend donc très bien ce que je fais, on s’est rencontrés dans le Cinéma donc on se croisait, et on fait très attention à passer beaucoup de temps ensemble. Mais on est habitués à ce que l’un ou l’autre parte en voyage, mais oui, il faut faire attention, parce que là, par exemple, depuis septembre, et jusqu’à décembre, je ne suis pas du tout chez moi. De là à décembre, j’ai quarante dates différentes, donc ça se gère et ça se travaille. Je lui dis “écoute, je prends tout maintenant, et puis en 2024, je vais me reposer et rester à la maison. En ce moment, je passe mes journées à refuser des invitations pour 2024, ce qui me rend un peu impopulaire, parce que les gens ne comprennent pas en fait que j’ai besoin d’être aussi au calme.. Évidemment c’est un privilège, je n’aime pas refuser les choses, mais là, je suis quand même obligé. Ce que je disais aussi, l’écriture et la créativité ont pour condition la disponibilité intellectuelle et même physique. C’est très joyeux ce que je fais, mais je suis fatigué. Des fois, j’ai envie d’être chez moi, et de ne rien faire aussi, de sortir avec mon chien, de regarder la nature, voilà, pour que les idées reviennent, et que l’envie d’écrire revienne, c’est important. Mais il est vrai que c’est compliqué.

S. C. = Est-ce que vous avez un message particulier à transmettre au jeune public ?

J-B A. = Ce que je disais tout à l’heure, tous les verrous et les impossibilités que vous pensez avoir et ce que vous pensez qui se dresse devant vous, en tout cas la majorité d’entre eux n’existent pas, c’est dans vos têtes. Voilà c’est la seule chose que j’ai à vous dire.

Merci à Jean-Baptiste Andréa pour sa disponibilité.

Interview menée par Perrine Prijent et Stacy Cherault.