Chavirer, une épopée tempétueuse.

Jeudi 12 novembre 2020

Oui, Typhaine et Judie ont aimé ce livre. Les deux jurées du lycée Charles et Adrien DUPUY, au Puy-en-Velay, ont été emportées par une “épopée marine, pleine de tempêtes” qui ont “atteint leurs émotions avec justesse”… Lisez plutôt !

Chavirer m’a embarquée dans une épopée marine, pleine de tempêtes qui ont su atteindre mes émotions avec justesse. Ce n’est pas tant le périple d’Ulysse qui est puissant mais ce que l’aventure laisse en lui, en nous. Et Chavirer a été pour moi une étoile filante. Si je n’avais pas les vœux et désirs de Cléo, j’ai vu l’histoire passer, brillante et remarquable et le récit a laissé en moi comme une satisfaction, un accomplissement. Et parmi toutes les autres étoiles, ce livre a su attirer mon attention, me faire me souvenir de lui.

J’ai appris qu’apprécier une lecture a une grande part de subjectivité alors comment vous décrire tout ce que je ressens ?

Chavirer. Dans la tempête de la vie, les pirouettes de la danse, les exercices, demi-pointes, tourner regard droit, développer, attitude, arabesque et stretch, certains, certaines se noient en voulant voler. D’autres tentent de rester à la surface, accrochés à leur bouée ou nageant à la force de leurs bras. C’est le cas de Cléo. Cléo a vu sa bouée s’approcher d’elle. Une aide qui lui permettrait de continuer, d’aller plus loin, de réaliser son rêve. La fondation Galatée proposait une bourse pour les jeunes filles voulant faire de leur passion un avenir.

Cléo a maintenant plus de quarante ans, une fille, et un mari. Elle vit avec un secret, une chose dont elle veut parler sans savoir si elle le peut. Est-elle la victime ? la coupable ? Pire, la criminelle ? Est-elle la seule ? De nombreuses questions depuis des années la menacent. Alors elle danse. Pour la télévision, elle bouge. Elle est « la danseuse du fond » comme les autres. Sous les plumes, les paillettes et le maquillage, elle n’est plus que l’objet d’un art qui la dépasse. Elle est simplement celle qui divertit. Plus de bourse irrécupérable, de honte inacceptable de secret inavoué, uniquement la lumière des projecteurs. Cléo est une danseuse.

Chaque personnage a sa sensibilité propre, ce qui a fait que j’ai pour tous, éprouvé de l’affection, de l’empathie. Tout est juste parce que la vie est là, et traverser ce petit bout de siècle, malgré les remords et les mésaventures, avec Cléo qui continue simplement à vivre en me donnant envie de la suivre, jusqu’au bout, a fait briller mes yeux.

Elle réalise son rêve, refusant de chavirer sur scène. Ce n’est pas ce jury qui va la faire plier. Elle n’a pas été abandonnée par son meilleur ami pour rien, pas perdu sa petite copine pour sombrer. Alors elle s’accroche, elle tente de vivre. Toujours prête à l’aventure, toujours être en activité pour oublier. Escalader les grilles de la cathédrale pour s’approcher, être encore plus proche du ciel. Puis tomber.

Vous connaissez certainement la plénitude de la nuit, je crois que l’écriture de Lola Lafon m’a plongée dans cet état, où parce qu’on se sent serein et seul (mais pas isolé), on est plus attentif, plus « émerveillable ». L’histoire amène beaucoup de sujets avec finesse. J’ai eu en moi ce sentiment de nostalgie pour la vie de chacun des personnages, et j’ai ressenti le temps passer avec eux.

Elle n’a pas retenu Betty. Elle ne lui a pas dit de ne pas y aller. Elle ne l’a pas touchée, elle l’a juste regardée. Elle savait mais elle n’a rien fait. Et maintenant Betty revit ce moment effroyable, chaque jour de sa vie. Elle est celle qui n’a pas réussi. Il y a aussi toutes ces filles qu’elle a envoyées là-bas. Elle gagnait de l’argent pour ça, et pour ne pas la faire parler aussi. Elle est rongée par la culpabilité de la victime-coupable. Elle ne peut parler, elle ne veut se taire. On aimerait lui dire : « Ce n’est pas ta faute tu n’étais qu’une enfant, ils t’avaient promis la lune, tu voulais toucher les étoiles, ce n’est pas ta faute, on ne t’avait pas dit que tu pouvais faire autrement, ils n’avaient pas le droit ». Puis on veut aussi lui dire : « Mais tu aurais pu les dénoncer, en parler aux autres, regarde comme Cathy te parlait, elle sait, elle est coupable, ne sois pas si naïve ».

Elle danse par passion, elle danse par obligation, on ne lui a pas laissé la chance de devenir autre chose. Cathy ne lui a pas laissé le choix de faire autre chose. Elle l’a prise par le bras, embaumée de son parfum elle lui a dit que la danse était son seul chemin. Rien d’autre n’était possible, c’est son seul rêve, son seul avenir. Cathy la sorcière de l’histoire, celle qui a pourtant toute la gloire. Elle savait. Tout le monde sait qu’elle savait même si personne ne veut savoir. Yonasz l’a laissée tomber. Claude l’a laissée tomber. Lara l’a laissée tomber. Betty, elle l’a laissée tomber.

Dans un livre, ou un film, dans une histoire en général, la fin est assez décisive ; elle peut être aussi bien frustrante (dans le sens où on voudrait en savoir plus), que décevante. Mais ici la fin de Chavirer est tout simplement incroyable, tout juste parfaite. Elle est à la fois prévisible et surprenante.

Cléo dans un tourbillon de souvenirs lorsqu’elle voit cette alerte passer sur internet. Un appel pour venir dénoncer ce qui s’est passé à la Fondation Galatée, plus de vingt ans après les faits. Oui, elle ira. Inscrite sous le nom de Natacha, elle décidera de raconter son histoire. De demander pardon à toutes ces filles.

Notre avis est peut-être commun (oserions-nous dire « bateau »), pourtant notre cœur a chaviré pour cette œuvre. Cependant nous n’arrivons pas réellement à décrire nos états d’âme, c’est là la force de l’art.

Merci à l’auteure pour ce souvenir d’étoile filante, merci à l’auteure pour ces mots résonnant dans nos esprits.

Judie & Typhaine