L’avis de Corène sur « La carte postale »

Vendredi 8 octobre 2021

Corène, élève en Classe Préparatoire aux Grandes Écoles du Lycée Gerville-Réache à Basse-Terre, en Guadeloupe. Elle nous livre son avis sur le roman d’Anne Berest.

La carte postale

En 2003, Lélia, la mère d’Anne Berest, reçoit une carte postale anonyme représentant l’Opéra Garnier sur laquelle sont inscrits quatre prénoms : Ephraïm, Emma, Noémie et Jacques. Un choc pour elle, car il s’agit de ses grands-parents maternels, de son oncle et de sa tante, morts en camp d’extermination, à Auschwitz, en 1942. Qui a pu envoyer cette horreur, se demande Lélia ?

Et, surtout, dans quel but ? Un mystère resté sans réponse. Jusqu’à ce que, quinze ans plus tard, Anne se lance dans une longue enquête qui va la mener aux Forges, un village de Normandie, et réussit à faire surgir la vérité en sondant les derniers témoins qui ont croisé les Rabinovitch.

Des fantômes qui hantent encore les mémoires…

Anne Berest signe un roman introspectif captivant. Faisant subitement face à l’antisémitisme contemporain, elle est confrontée de plein fouet à des origines qu’elle n’a ni apprivoisées ni revendiquées. Faute de récits, de traditions et de réponses. Avec sa mère comme alliée, elle ausculte minutieusement cette mémoire des ancêtres que chacun porte en soi, qu’on le veuille ou non. À mesure qu’elle fend les voiles du passé et du silence, elle tombe sur des détails tapis dans l’ombre, qui la connectent à une famille qu’elle n’a pourtant pas connue. Pour mener cette enquête, l’auteure a dû faire appel à des corps de métier bien précis. Elle a engagé un détective privé, un criminologue, un graphologue… Tous ceux qui pouvaient l’aider à comprendre qui étaient ces personnes derrière les noms mentionnés sur la fameuse carte. Ici, nous comprenons que la volonté de l’auteure va au-delà du fait de savoir pourquoi elle a reçu cette carte. Elle souhaite en savoir plus sur sa famille, son histoire et sa vie.

Le roman prend alors une tournure intime à travers cette interrogation viscérale : que signifie être juif ? Une question dont la réponse reste insaisissable. Chercher à savoir qui l’on est à travers l’histoire de sa famille est le pari d’Anne Berest. Dans cette oeuvre, elle part à la quête d’une identité juive si difficile à définir et pourtant pourchassée et détestée depuis des siècles.

L’auteure réussit à nous associer à sa recherche en utilisant un style simple mais efficace.

Du XXe siècle et du sort des Juifs d’Europe, nous pensions connaître beaucoup. En effet, l’horreur de la Seconde Guerre mondiale est connue. Nombreux sont les documentaires, films, témoignages qui nous la décrivent. Or, lire une histoire personnelle rend encore plus présente et compréhensible cette horreur. Les êtres prennent forme, visage, caractère : ils existent. L’intérêt du lecteur est suscité par le souhait de voir aboutir cette quête des origines et la question sur l’identité qui s’y attache, et l’obstination de l’auteur devient celle du lecteur. L’histoire est captivante et l’art de conter n’y est pas pour rien car la narration happe le lecteur et l’attache aux personnages. C’est un véritable témoignage de ce qu’a vécu la famille de l’auteur, et un plaidoyer pour la nécessité de dire les choses, pour ne pas oublier et pouvoir s’en libérer.

Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé ce livre qui m’a tenue en haleine jusqu’à la dernière page, notamment les connaissances et les détails qui nous sont apportés autour de la Shoah, de la rafle du Vel d’Hiv et de son organisation méthodique. J’ai été très sensible à la description très réaliste de la vie dans le camp de Pithiviers, au soin apporté à faire revivre toutes ces femmes et tous ces hommes qui, au péril de leur vie, ont lutté contre l’envahisseur allemand. Les pages consacrées au retour des déportés sont particulièrement émouvantes.