Un texte de Typhaine du lycée de Puy en Velay (Attention : spoiler)

Vendredi 20 novembre 2020

Je ne peux pas dire simplement pourquoi j’ai aimé ce livre, je ne sais pas exactement pourquoi j’ai aimé ce livre. Mais j’aime ce livre. Pas seulement pour des images fortes ou émouvantes ou amusantes qui laissent derrière elles de quoi réfléchir mais pour le livre dans son entièreté de la première à la trois cent vingt-septième page. Les lettres du récit tombent dans mes mains sans que je puisse les rattraper, alors je referme le livre pour ne pas les perdre à jamais. Et si je devais rencontrer mon double moi aussi ? Comment réagirais-je ? J’essaie de m’imaginer.

Une voiture arrive devant chez moi, c’est l’été 2021 je me repose après deux semaines de travail à ramasser les fruits, un mal de tête assourdissant ne me quitte plus depuis que j’ai atterri à New-York pour rendre visite à mon frère et mon tout jeune neveu de cinq ans. Durant le vol, il y a eu beaucoup de perturbations et ma tête a heurté violemment le siège. J’ai eu une bosse, un bleu. Puis ce bourdonnement incessant dans mon oreille droite. Après avoir passé des examens à mon retour sur Paris le bilan est tombé. Des acouphènes sont à l’origine de ces migraines.

Les chiens aboient bruyamment dehors alors que je sors pour voir ce qu’il se passe. Je suis seul à la maison et une grosse voiture noire aux vitres teintées avance dans l’allée et s’arrête devant la porte. J’enfile mes claquettes et un gilet, il faut dire que je suis encore en pyjama. De la voiture sortent deux hommes, enfin un homme et une femme, tous les deux habillés de costumes noirs les cheveux tirés en arrière en une queue de cheval basse. La femme s’approche prudemment et j’ordonne à mes chiens d’arrêter d’aboyer avant d’aborder la discussion. « Bonjour, je suis désolé mes parents ne sont pas là. Mon beau-père ne sera là qu’à partir de dix-sept heures. » La femme regarde les chiens puis tourne la tête vers moi sans sembler avoir entendu ce que je lui ai dit. « Bonjour, vous êtes bien Esteban Peinnet ? » J’acquiesce, sur mes gardes, une légère boule se formant dans mon ventre. C’est bien la première fois qu’on vient me voir moi. « Je m’appelle Alix, je suis de la DGSE et voici mon collègue Amori de la SDAO. Nous sommes venus vous chercher, c’est une mission de sécurité nationale. Nous allons vous expliquer. »

Sécurité nationale, service secret, je commence à me demander si je ne suis pas entrain de rêver ou bien si c’est une farce ? C’est peut-être à cause de ce papier d’Arménie que j’avais volé à l’âge de huit ans dans un petit magasin, pensant que c’était gratuit, comme c’était exposé à la caisse. Les agents rentrent et s’assoient sur le petit canapé avant de m’expliquer une situation que j’ai beaucoup de mal à entendre et comprendre. Je répète pour être certain d’avoir bien compris. « Donc, il y a six jours un Boeing 747 d’Air France assurant la ligne Paris-New York, le 10 mars 2021, s’est posé dans une base militaire d’Amérique. Et c’est exactement le même avion que celui duquel je suis redescendu avec mes acouphènes il y a quatre mois. Le même. Même passagers que le 10 mars, dans le même état. C’est-à-dire que j’y suis moi aussi. Je suis ici et là-bas. Et suivant le protocole 42 je dois me rencontrer ? » L’agent Alix hoche la tête et je sens mon cœur s’emballer. Je tente de garder une respiration calme mais l’air semble s’être évacué de la pièce. Je reprends ma respiration toutes les dix secondes comme si faire rentrer le maximum d’air dans mon corps suffirait à faire partir la terreur qui s’installe en moi, mais ça empire, je ne peux plus respirer du tout. Est-ce que je ressens cette peur depuis l’Amérique ?

Je retrouve tous mes esprits quelques minutes plus tard en me lavant le visage. Je laisse un message à mes parents, Amori m’a promis que quelqu’un viendrait ce soir pour leur expliquer en détail ce qu’il se passait. Moi pendant ce temps je repars aux Etats-Unis pour me rencontrer. Pour tromper mon angoisse, j’écris quelques mots puis dors pendant la totalité du voyage. C’est Alix qui me réveille pour me signaler que nous venons d’arriver. Je tremble un peu mais j’essaie de me rassurer. C’est comme aller voir un nouvel ami qui vous ressemble, il n’y a pas à s’inquiéter. On me fait entrer dans une sorte de bureau composé d’une table en son centre et de quatre chaises. Deux psychologues sont là aussi. Puis il y a un jeune homme brun, perdu dans l’écriture d’un carnet, ses écouteurs dans les oreilles. Il bat la mesure avec son doigt, il ne sait plus quoi écrire et regarde son stylo. Sa main tremble légèrement, il est stressé. La porte se referme, il sursaute et lève les yeux vers moi. Ses yeux sont d’un noir perçant donnent l’impression d’être inspecté. Son regard semble passer au travers de moi comme s’il pouvait voir mon corps en dessous de mon pull à col roulé et de mon jean. Il reste à m’observer avant de détourner les yeux et de se lever en croisant les mains devant lui. L’ongle de son pouce droit rentrant dans la peau de sa main gauche. Il a peur. J’ai peur. Car c’est moi qui me tiens devant moi. Il faut dire que c’est étrange de se voir devant soi sans l’ intermédiaire du miroir devant lequel on se ment. Je le regarde attentivement, remarquant les moindres détails. Des muscles se dessinent légèrement sous son t-shirt et ses cheveux bouclés sur le dessus de sa tête. Il a le teint plutôt pâle et beaucoup de cernes, des jambes élancées très fines et une pierre de cristal autour du cou. Une pensée me traverse la tête : finalement, je ne suis pas aussi laid que je le croyais. Nous ouvrons la bouche en premier « Sal- » puis nous nous taisons subitement pour laisser l’autre parler. J’attends quelques secondes avant de poursuivre en même temps que moi-même. « Esteban j’imagine ? »

J’éclate de rire, nous éclatons de rire. Ce qui m’arrive est fou, je ne peux pas le croire. Me voici à deux dans une pièce au fond de l’Amérique, discutant avec moi-même comme avec un vieil ami. C’est fascinant. Pas la peine de nous raconter nos vies, nous avons vécu la même chose alors nous nous taisons. Je lis les quelques pages que j’ai écrites dans cette base de l’US Air Force pendant que je lis également les quelques lignes écrites dans l’avion jusqu’ici. Est-ce possible d’avoir deux mêmes identités ? Je crois que nous ne laisserons pas de trace, je crois que je ne suis pas sur terre pour rester dans le moule. Alors puisque la vie est éphémère, autant s’amuser et puisque l’extraordinaire est arrivé autant poursuivre l’aventure. J’ai envie d’essayer. Nous écrirons sous le même pseudo, nous étudierons sous le même nom. Un jour ce sera lui qui ira en cours pendant que je me reposerai, le lendemain ce sera moi. Comme dans le film Seven Sisters de Tommy Wirkola. Je serais totalement unique. Une identité pour deux unités, aucune différence auprès des autres. Maintenant je suis deux. Voilà qui promet d’être amusant.

Typhaine.