Réécriture des dernières pages de Vivre vite

Lundi 10 octobre 2022

Par Eloïse Lefevre, Term HLP du lycée Thomas Hélye de Cherbourg

VIVRE VITE

Je suis rentrée de Paris par le TGV qui arrivait à Lyon à vingt et une heures, Je n’avais pas eu à courir puisque l’installation Ousmane Sow sur le Pont des Arts ne m’avait pas pris beaucoup de temps. J’avais même poursuivi à pied jusqu’à la gare de Lyon, pour profiter de la douceur de l’air, repensant à toutes les bonnes vibrations de la journée.

À mon arrivée, Guy me guettait au bout du quai. Il avait été mis au courant de l’accident, mais pas encore de l’issue. Il m’a juste dit que l’épaule était touchée. J’ai été étonnée de voir Guy, mais pas tant que ça. Je n’ai pas eu l’idée de lui demander comment il avait su. Nous étions projetés dans l’action. Guy a voulu me raccompagner à l’appartement. Mais une fois sur place, il est resté. Il tournait dans le salon rempli de cartons pendant que  

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j’écoutais les messages sur le répondeur. Il n’y avait rien d’anormal, seulement un message de Christine, la maman de Louis, qui avait proposé à notre fils de dormir chez eux après l’anniversaire. Et 2 appels en absence. Guy refusait la bière que je lui proposais. Guy était bizarre mais je ne le remarquais pas. J’étais quand même inquiète de l’accident de Claude je n’avais pas encore de nouvelles. Guy a proposé que nous nous rendions à l’hôpital pour prendre des nouvelles. Il voulait tout de même savoir si son ami allait s’en remettre. Guy conduisait dans les rues de Lyon désertes. Il fumait les vitres ouvertes. Il m’offrait des cigarettes, je fumais avec lui dans la chaleur du soir. Il ne faisait pas encore nuit, le jour s’étirait.J’arrivais de cette journée parisienne si pleine de bons signes à propos du roman à paraître, remplie de cette rentrée littéraire à venir. J’avais un livre pour Claude dans mon sac, glissé dans une enveloppe, Nico, ce roman qu’il lira pendant son séjour à l’hôpital. À l’hôpital Edouard-Herriot, Guy s’est présenté au bureau des entrées. On lui a dit que Claude était au bloc. Mais que c’était encore trop tôt pour qu’on le renseigne, j’ai attendu dans la voiture, je savais que Claude allait s’en sortir et que nous vivrions heureux dans notre nouvelle maison avec notre fils. Guy était nerveux  

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et silencieux, mais il est toujours ainsi. Même pendant les nombreux week-ends que nous passions ensemble, avec Michelle, Philippe et Béatrice, dans la ferme qu’un agriculteur lui prêtait dans la campagne bressane. Nous sommes rentrés à l’appartement une nouvelle fois, j’ai une nouvelle fois interrogé le répondeur, sans que rien de nouveau se soit produit. Guy a refusé la bière que je lui proposais. Il a voulu téléphoner. En raccrochant, il m’a dit que l’intervention était terminée. J’étais heureuse de savoir que j’allais bientôt le retrouver. Guy n’avait aucune émotion, mais il n’a souvent aucune émotion, même quand nous cueillons des champignons dans les prés, même quand il allume le feu dans le poêle à bois. Je suis remontée dans la voiture et je me suis laissée conduire. J’ai laissé Guy prendre les choses en main. Nous avons roulé, je me souviens d’un temps très long. Vers minuit, après de nouvelles tentatives d’approche du bureau des entrées, pour voir Claude qui était dans la salle de réveil, Guy m’a invitée à descendre de la voiture. J’avais la sensation que mes sandales étaient un peu trop grandes, il fallait rajuster la bride. Je faisais ce que Guy me demandait. Après un moment de flottement où je voyais Guy apparaître puis disparaître, tantôt de face, tantôt de dos, une femme m’a parlé sur le parking je ne sais pas d’où elle est sortie. Tout était sombre   

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autour. J’ignorais qu’elle était médecin urgentiste. C’est elle qui a prononcé la phrase qui m’a soulagée et rendue heureuse : Nous l’avons sauvé. La phrase qui marque l’avant après. Ça s’est passé sur le parking, pas d’arrière-plan. Son visage dans la nuit, je ne saurais pas le reconnaître.   Il a fallu des semaines pour que Claude se remette de l’accident. Mais il était là, avec moi et notre fils dans notre nouvelle maison, qui n’était pas en très bon état mais nous n’avions qu’une hâte, la rénover à notre goût et à notre image. J’étais si heureuse, j’ai cru le perdre, comme quoi dans la vie tout peut basculer à tout moment.   J’apprendrais plus tard que le médecin urgentiste du parking était par ailleurs l’épouse du notaire, l’ami de Guy si arrangeant. Là encore, il n’y a rien à comprendre, simple hasard. Simple mouvement chorégraphique. Des rencontres, des amitiés, des interférences, des services rendus. Des week-ends à la campagne. Des coïncidences. La vie dans sa fluidité.      

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Il n’y a rien à comprendre, chacun joue son rôle. Chacun bien à sa place dans la ville, en toute légitimité : le médecin, le notaire, l’instituteur, le pompier, le policier, le bibliothécaire, le banquier, le curé. Ça s’appelle une société. Tout est si bien huilé. Ça fonctionne, ça dysfonctionne, pour le meilleur et pour le pire. Le journaliste, l’employé du magasin, l’écrivain. Il n’y a pas de si. C’est de la chance, il a survécu à cet accident qui aurait pu le tuer.