Profession ? Correctrice !

Rencontre avec Anne-Soazig Brochoire
Lundi 13 décembre 2021

Aux Rencontres nationales du Goncourt des lycéens, à Rennes, des ateliers sont proposés autour des métiers de la culture et de l’art. Les métiers du livre sont évidemment bien représentés dans cette offre : en cette année 2021, des élèves ont pu échanger avec une correctrice indépendante. L’atelier a permis à un petit groupe d’élèves de partir à la découverte d’une activité méconnue…

Anne-Soazig Brochoire aime à dire qu’elle a réussi à faire de sa passion un métier, dont elle vit : elle est payée pour lire.

Anne-Soazig Brochoire, lors de l’atelier du 10 décembre, RNGL 2021, à l’Antipode, Rennes

Lire de tout : des albums pour enfants ou des livres de cuisine, des publications scientifiques, des oeuvres littéraires ou des articles de presse (imprimés ou numériques). Elle aime à dire qu’elle y trouve quelques privilèges : elle lit en avant-première et elle en apprend tous les jours !

Depuis dix ans, elle est correctrice. Après avoir fait des études scientifiques et travaillé dans un groupe éditorial, elle est désormais correctrice indépendante, en Bretagne, heureuse d’être maîtresse de son travail et de ses méthodes.

la rencontre des élèves avec la correctrice Anne-Soazig Brochoire

Les « e » et les coquilles

Des éditeurs lui confient des textes à relire, le plus souvent désormais en format numérique. Elle exerce alors son oeil aiguisé : elle chasse les « coquilles », elle traque les problèmes de mise en page, elle cible tout ce qui nuit à la lisibilité et à l’intelligibilité du texte voué à la publication.

Tout y passe. Les erreurs orthographiques, bien sûr, mais pas seulement : elle recherche par exemple les incohérences entre une illustration et sa légende, ou entre une illustration et son renvoi dans le texte. Elle s’assure qu’il n’y a pas d’incohérence non plus dans le contenu : par exemple, un zéro en trop dans les ingrédients d’une recette, et la préparation censée être solide resterait une bouillie liquide ; par exemple, une erreur géographique, et une ville passerait dans un département qui n’est pas le sien ; par exemple, un personnage qui par inadvertance de l’auteur, change d’âge ou de prénom au fil du récit, et le lecteur ne comprend plus l’histoire… etc Les lignes orphelines ou les tailles de police insuffisantes ne sont pas épargnées : elles aussi seront signalées à l’éditeur.

Avoir un regard frais

Une telle vigilance s’acquiert et exige une grande « fraîcheur » du regard. Pour ce faire, Anne-Soazig Brochoire a confié son secret, « la méthode du sablier » : elle rythme son travail en ne dépassant jamais plus de 45 minutes sur un même document ; après quoi, elle fait tout autre chose pendant quelques minutes, puis elle renouvelle sa concentration et reprend la tâche. Car elle nous a rappelé les résultats d’une étude de l’Université de Cambridge, menée au début des années 2000 : le cerveau est une merveilleuse machine à rectifier malgré nous ce que nous lisons ; notre oeil sait qu’on n’écrit pas « cervelle » avec trois « L » ou que le « R » est avant le « V » dans ce mot, mais notre cerveau, lui, nous aide à reconnaître vite ce que nous lisons (notamment à partir de la première et de la dernière lettre du mot, peu importe l’ordre des lettres au sein du mot). Il est donc capable de nous faire ignorer le message de notre oeil et de nous laisser reconnaître le mot comme un tout, même s’il est écrit de façon incorrecte ou avec des lettres dans le désordre. Il faut donc redoulber de viligcane ! [ vous avez vu : vous avez facilement identifié les mots corrects : « redoubler de vigilance » !!]

Usages typographiques et chartes éditoriales

Mais Anne-Soazig Brochoire répond aussi à d’autres codes : dans l’édition, les usages typographiques sont principalement basés sur les recommandations de l’Imprimerie nationale, listées dans un manuel que la correctrice et tous ses confrères connaissent pratiquement de mémoire. Par exemple, elle sait qu’on doit écrire « Goncourt des lycéens », sans majuscule au mot « lycéens ». Elle utilise aussi beaucoup les banques linguistiques qu’elle juge très utiles : le site Termium, entre autres, produit par le Gouvernement du Canada, lui permet de trancher dans des cas complexes.

Elle maîtrise bien sûr tous les signes qu’un correcteur utilise sur les « épreuves » à corriger (voir la photo infra), même si la transition numérique rend plus rare ce type de travail sur les marges d’un ouvrage imprimé.

Un extrait du guide des Règles typographiques éditées par l’Imprimerie nationale

Mais il y a aussi des éléments propres à chaque éditeur : dans sa bibliothèque de travail, on trouve les chartes graphiques des différents éditeurs qui lui indiquent comment, par exemple, présenter un dialogue dans leurs collections. Tirets, guillemets, italiques etc : il faut s’en remettre aux usages de la collection où figurera le texte à relire. Et le maître mot, c’est la cohérence : si on choisit d’écrire le mot « suspens » sans « e » final, il faut s’y tenir du début à la fin du texte.

Enfin, l’atelier a été l’occasion d’évoquer une réalité : toute langue est vivante. Son lexique et ses usages évoluent et traduisent la vie des gens qui les utilisent. Les débats autour de l’écriture inclusive en sont actuellement l’illustration la plus flagrante, et traversent aussi le travail de la correctrice.

***

Si vous souhaitez en savoir plus, la correctrice vous recommande de vous rendre sur le site de l’ACLF (Association des correcteurs de langue française). Formation, enjeux et perspectives du métier vous seront présentés plus en détail. Et elle vous recommande aussi de lire le témoignage de Muriel Gilbert :

Les correcteurs, des « dompteurs de mots »

Que serait la haute couture sans l’ultime coup de fer ?

On le voit, l’atelier a donné aux élèves qui avaient choisi d’y assister, un aperçu aussi complet qu’insolite de ce métier indispensable à la chaîne du livre. Avec la correctrice, c’est l’artisanat des mots qu’ils ont découvert. Anne-Soazig Brochoire a présenté son métier avec beaucoup d’humilité, mais son rôle est essentiel. L’auditoire a acquiescé et souri quand elle a proposé une comparaison : si elle travaillait dans le milieu de la mode, elle serait celle qui donne un petit coup de fer juste avant le défilé ; elle ne dessine pas les modèles, elle ne sait pas coudre, mais elle efface les derniers faux plis disgracieux !