Le voyage dans l’est : une lecture difficile, mais nécessaire

Mercredi 10 novembre 2021

Aure Line, du lycée Gerville-Réache de Basse Terre a hésité, a été choquée, s’est longuement interrogée. Mais, finalement, elle a lu jusqu’au bout Le Voyage dans l’est de Christine Angot. Et elle vous fait part de ses impressions diffuses.

Débat autour des romans au Lycée Gerville-Réache de Basse Terre

« Il a éjaculé dans ma bouche. J’ai recraché le sperme dans les toilettes. Je me suis recouchée. »

Après mûre réflexion, c’est par ces mots difficiles que j’ai choisi de commencer cette critique. Difficiles, c’est peu dire, car ce simple « il » cache en réalité de nombreux secrets. « Il », c’est le père de la narratrice. Pour être honnête, j’ai failli, à plusieurs reprises, stopper définitivement la lecture de cet ouvrage, car elle en devenait insupportablement dérangeante. J’ai longtemps hésité à introduire ma critique de cette façon, car j’avais conscience que tout le monde n’était pas capable de lire ces trois phrases. Mais après tout, c’est sur des phrases toutes aussi dures que les pages de ce livre ne cessent de défiler. Ce qui m’a amenée à me questionner sur la place de ce livre dans la sélection du Goncourt des lycéens. Comme l’indique le nom de ce prix, les ouvrages qui y sont présentés sont destinés à être lus par des lycéens, de quatorze à dix-huit ans. Du haut de mes dix-huit ans, âge de la majorité où beaucoup de portes s’ouvrent à nous, j’ai eu énormément de mal à lire ce livre. Alors je me suis posé la question : est-il adapté à un adolescent de quatorze ou quinze ans ? Pourquoi ne pas le déconseiller à une certaine tranche d’âge comme on le fait pour les films ou les séries ?

En y réfléchissant, je pense que la lecture de cet ouvrage n’est adaptée à personne, et heureusement. Car comment pourrait-on qualifier quelqu’un capable de lire ce livre sans ressentir une quelconque gêne, un quelconque dégoût ? Je pense que nous ne sommes jamais prêts à entendre, à voir, ou à lire de telles horreurs. Et c’est ce qui fait de nous des êtres humains. Au-delà du fait que cet ouvrage ne devrait être victime d’aucune censure, je pense même que sa lecture devrait être conseillée dès le début de l’adolescence. En effet, dans son autobiographie, Christine Angot tente de lever les tabous et d’informer sur un sujet qui semble encore quasiment intouchable dans notre société : l’inceste. Effectivement, aujourd’hui, en France, en Guadeloupe, et comme dans beaucoup de pays, quelqu’un qui vend du cannabis passera plus de temps en prison qu’une personne accusée de viol. En France, seulement une personne sur cent accusées de viol est condamnée. En bannissant les chiffres de son ouvrage, Christine Angot parvient à dénoncer les travers de notre société. Elle s’attelle à la fois à lever les tabous et à avertir les potentielles victimes.

« J’ai préféré m’imaginer que j’avais une part de responsabilité plutôt que de me voir comme quelqu’un qui subit passivement sans rien faire ». A travers son expérience, et en utilisant des mots simples pour partager quelque chose de dur, l’auteure s’attache à faire déculpabiliser les victimes ainsi qu’à inculquer la tolérance aux personnes qui ne comprennent pas toujours ce qu’elles traversent. Elle joue beaucoup avec les émotions du lecteur qui se retrouve en colère de voir cette gamine retourner vers son père après tout ce qu’il lui a fait subir. On se perd dans ce trop-plein d’émotions, jusqu’à ne plus savoir contre qui être énervé. Mais c’est afin d’aider le lecteur à mieux comprendre que la personne contre laquelle doit se projeter cette colère n’est pas l’enfant, mais bien le père, le violeur.

« On a perdu une heure à ne pas dormir pour aucun résultat, si j’avais réussi à te faire jouir, ça m’aurait fait du bien. Mais là… je suis désolée Claude ». Christine Angot nous offre une vision très complète de l’inceste et de ses conséquences, de l’avant, du pendant, et de l’après. Dans cet extrait, on peut voir que les traumatismes qui découlent de ces viols donnent une fausse image de la sexualité à la victime qui pense que faire jouir son partenaire est le but ultime alors qu’en réalité, le but d’une relation sexuelle, ne l’oublions pas, est de prendre du plaisir à deux, de façon consentie.

« Est ce qu’on demande à un enfant battu s’il a eu mal ? Pourquoi demande-t-on à un enfant violé s’il a eu du plaisir ? ». C’est par cette phrase atroce que je souhaite terminer cette critique en ajoutant une dernière chose : les actes ont des conséquences, oui. Mais les mots sont puissants. C’est ce que nous montre Christine Angot dans cet ouvrage à travers les nombreuses manipulations qu’elle a subies de la part de son père. Alors prenez le soin de choisir vos mots avec attention, cela ne sera jamais du temps de perdu.